Les jours de pleine lune,
c’est scientifiquement prouvé, sont les jours de tous les possibles. Ne souriez
pas, ce n’est pas que j’y crois, c’est comme ça.
Généralement, la nuit
précédente déjà, vous avez dormi d’un assez mauvais sommeil. Une nuit pour le
moins agitée. Vous ne savez pas pourquoi, vous n’étiez pourtant pas
particulièrement stressé ou préoccupé. Et puis le lendemain matin, dans les
journaux, en écoutant la radio, sur le calendrier, vous vous apercevez que la
lune est presque remplie. Ah bah oui, je me disais bien aussi…
Les jours pleine lune, on
dirait que tous les fous, marginaux, illuminés de la terre se sont donnés
rendez-vous pour se regrouper en masse. Et venir vous titiller bien sûr
(comment ça, je suis parano ?).
Au travail, chaque mois, ça
ne loupe pas, c’est le défilé.
Ça commence par la file
d’attente plus longue que d’ordinaire, dehors devant les grilles fermées, 30
minutes avant l’ouverture des bureaux. La personne qu’ils attendent, c’est
vous. Et oui, vous êtes là pour les accueillir ! Sauf que vous êtes à
peine réveillé (nuit précédente oblige), que vous rêvez de continuer votre nuit
au bureau, et d’enchaîner par une bonne tasse de thé bien corsé (ça marche
aussi avec du café). Mais vous savez que vos rêves vont être anéantis. Ce
matin, ça va déferler. Et dire qu’il n’y avait pas un chat avant 11h30 hier
matin…
De 8h29 pétante jusqu’à
extinction des feux donc, la journée se déroule au rythme des visites de lunatiques.
Il n’est pas rare, ces jours de pleine lune, de croiser dans les couloirs des
personnes parlant à haute voix…seuls. Monologues incompréhensibles, propos
vagues, sourires esquissés, petits rictus en coin. Pas la peine de s’arrêter,
de vouloir les aider, les orienter. Ces gens là, ce jour spécifique, ne
demandent rien, ne veulent rien, ne cherchent rien. Ils sont « là »,
et puis ils repartent. Vision éphémère et quasi surnaturelle. Ne pas chercher à
comprendre, surtout pas …
Un autre grand classique, les
criards. Ceux qui en veulent à la
Terre entière, qui élèvent la voix, qui s’époumonent. Contre
personne en particulier, contre la
Terre entière. Ils menacent, ils tempêtent, ils vitupèrent.
On a beau tout essayer, les apaisements des vigiles, les regards mi amusés mi
courroucés des autres usagers, les protestations des travailleurs essayant de
se concentrer, rien n’y fait. Le flot paraît intarissable. Jusqu’à ce que la
source se tarisse d’elle-même. La personne se tait brusquement, semble revenir
à elle, regarde autour d’elle d’un air hagard, et s’en va. Tout simplement.
Il y a aussi les doux-dingues
sortis de leur institution, en permission, en simple ballade, venus tuer le
temps. Ceux là assurent le show à eux seuls, ce sont des comédiens nés. Tous
les genres y passent : comédie, ironie, drame, provocation, action…Le suspense devient
intenable, mais la fin est immanquablement tragique. Ils finissent généralement
par se faire cueillir par la police, que quelqu’un a appelée entre temps.
Après la police, c’est au
tour des pompiers de venir gentiment calmer les choses. Ne sont pas rares en
effet les personnes tombant dans les pommes ou en hypoglycémie, celles
atteintes d’une crise de démence, celles qui perdent leur repères et ne savent
plus où elles habitent. On les aime bien, les pompiers, chez nous. Ils nous
sortent de bien mauvais pas.
16h59, dans une minute la
réception est fermée au public. Vous comptez les secondes. Et puis…toc
toc…toque justement la cerise sur le gâteau, la goutte d’eau qui fait déborder
votre patience, le dernier client, qui tente le tout pour le tout, et qui se
présente à vous, la bouche en cœur, alors que vous vous apprêtez à fermer les
écoutilles. Vous avez beau lui expliquer que le service est fermé au public, que
plus personne n’est là pour l’aider, et surtout, surtout, pour décider quoi que
ce soit ; rien n’y fait. Une seule solution pour lui faire entendre
raison, lui donner rendez-vous le lendemain matin, et lui assurer que son
dossier sera traité dès la première heure.
Le bal des casse-pieds est
fini. Le véritable travail peut commencer. Seul dans votre bureau, vous pouvez
ENFIN vous atteler à la pile de dossiers plus ou moins urgents et importants
qui trainent depuis ce matin. Répondre aux mails ultra-importants-ultra-urgents
demandant une réponse pour l’avant veille. Classer les dossiers et préparer la journée
du lendemain.
Il fait nuit. Vous rentrez
chez vous. Ce soir, c’est la lune décroissante. Vous allez bien dormir.